Le Collège St-Pierre

Mon enfance en Belgique 1929-39 s’est écoulé fort agréablement à tout point de vue, mais m’a apporté un défi mémorable. A l’âge de sept ans et demi, mes parents, des protestants anglais, m’ont inscrit au Collège St Pierre, une école catholique à Uccle. Je connaissais le français un peu, car on entendait quatre langues à la maison, dont le français était le seul moyen de communication générale. Mais je n’avais jamais assisté à une classe en français, et je n’étais vraiment qu’un débutant, car mes cousins anglais et d’autres amis parmi la communauté anglaise de Bruxelles se trouvaient dans le voisinage. On jouait ensemble, et nous communiquions en anglais.

Mais me voilà un jour, tout seul, entrant dans un grand collège francophone.

Il faut savoir qu’un garçon anglais sait, sans jamais qu’on le lui apprenne, qu’on ne se plaint pas de ce qui lui arrive lorsque les parents n’y sont pas. Si tu es torturé à l’école, tant pis, mais ne te plains pas.

Je ne me sentais pas à l’aise, ce premier jour au collège. Je pouvais à peine comprendre les leçons et je ne savais pas ce que c’était un péché mortel, ni un péché véniel. Je savais ce que c’était de faire la pêche, et que mortel pourrait avoir un lien avec la mort. Pas plus. Je me sentais de plus en plus misérable pendant la journée et devais sécher mes pleurs le long de l’avenue Defré en retournant à la maison après les classes, pour que personne ne voit ma douleur profonde.

Mais le soir venu, j’ai osé demander à mes parents ce que c’était un péché mortel, ou un péché véniel. Leur réaction m’a étonné. Je m’attendais à une explication scolastique, mais leur réponse ressemblait plutôt à ceci : “Oh! Mon dieu, ils lui apprennent déjà toutes ces bêtises.” Le message était clair. Fais tes devoirs consciencieusement, mais ne te préoccupes pas des questions de catéchisme. Donnes-leur simplement, les réponses qu’ils cherchent.

La langue française m’est venue assez vite, et après dix jours de classe j’ai pu comprendre toutes les leçons aussi bien que les autres élèves. J’ai même été premier de classe en grammaire française à la fin d’un de mes sept trimestres au collège. Ce résultat me paraissait bien naturel, car je pensais : les francophones n’ont pas besoin d’apprendre la grammaire française, mais les anglais en ont sûrement besoin !

Je dois dire que je n’ai jamais aimé être étudiant à ce collège. Il était dirigé par des prêtres qui partageaient deux caratéristiques très évidentes: ils maintenaient la discipline ; mais aucun d’entre eux n’avait jamais entendu parler de l’amour de dieu, ou, s’ils en avaient entendu parler, ils le supprimaient complètement.

Deux choses m’ont rendu la vie moins misérable pendant mes sept trimestres. Dabord il y avait un élève anglais au collège qui était non seulement un voisin, mais aussi mon plus proche ami depuis longtemps. Nous ne nous voyions pas au collège, mais nous faisions la traversée d’Uccle à pied ensemble tous les jours, un petit duo bilingue. Un trimestre plus tard, son jeune frère s’est joint à nous, et nous sommes devenus un joyeux trio. Finalement, j’ai pu réussir en classe assez bien pour ne pas trop déplaire à ces horribles prêtres.

Je me souviens très bien du préfet, “Monsieur le Préfet,” devait-on l’appeler. Son objectif était de maintenir une discipline si terrifiante que non seulement les élèves le craignaient, mais ils vivaient dans la crainte continuelle. Une des méthodes despotiques du collège était la suivante: plusieurs fois par année M. le Préfet distribuait des rapports sur la performance académique des élèves. Il y avait trois catégories de rapport : sur papier rose, vert ou jaune. Le seul désirable était le rose. Quatre-vingts années plus tard je peux bien supposer que le rose représentait toutes sortes de médiocrité aussi que du bon. Mais la méthode par laquelle les autorités inspiraient la terreur était par la menace du vert. Celui-ci indiquait non seulement une performance abominable, mais il induisait la honte. Et c’est bien ce qui était tellement abominable au Collège: la menace perpétuelle de la honte. Celui qui recevait le vert devenait intouchable. Et personne ne savait ce qu’il fallait faire pour éviter le vert. Une seule performance inférieure pouvait-elle induire à cette catastrophe ? Nous vivions donc dans la crainte.

Et ce grand Préfet autoritaire entrait dans une classe tenant en main une liasse de rapports roses, dans laquelle l’on pouvait voir quelques verts, au fond. Puis, il commençait à lire les noms en donnant les rapports aux élèves qu’il venait de nommer. Lesquels parmi nous allaient recevoir les verts? Oh! Que dieu me protège, pas moi ! Quelle honte de recevoir un rapport vert !

Quant aux rapports jaunes, je n’en ai jamais vus, mais ils étaient mille fois pires que les verts. On doit supposer que tout ceux qui en avaient reçus allaient directement en enfer, sans même dire adieu aux parents.

Les maîtres d’école, dignes esclaves du système, appartenaient à un groupe plus humain. Et quoique je n’aie jamais apprécié toutes les méthodes d’enseignement du collège, je demeure reconnaissant des efforts de deux de mes enseignants de classe. Ils m’ont appris plusieurs choses utiles, mais de plus et surtout ils m’ont permis d’apprécier bien plus tard certains des Contes de La Fontaine, un nombre de chansons traditionnelles, et quelques poèmes flamands.