Ma première conversation avec un castor

Un souvenir mémorable de Derek Paul, du début de septembre 1988
Traduit de l’anglais

Pendant mon absence du chalet — situé sur le lac Témiskamingue juste au nord de Haileybury — la famille de castors qui vivait dans notre voisinage avait coupé tous les peupliers qui se trouvaient sur les quelques acres de la propriété. J’ai constaté les dégâts à mon retour. Il était trop tard pour sauver les peupliers, mais je me suis quand même dit : « si seulement je pouvais confronter ces castors » !

Au crépuscule, j’ai eu une soudaine envie de les voir revenir à la recherche d’un arbre de plus. Il n’y en avait pas d’autre à abattre, mais les castors sont optimistes. Je me suis donc glissé en silence jusqu’à la plage la plus au nord de la propriété, qui me semblait être leur lieu d’atterrissage probable. Cette plage est assez petite, et est délimitée par de hauts rochers au nord, au sud et à l’ouest. À ma grande joie, alors que je descendais justement le long des rochers, j’ai vu toute la famille de castors nager autour de la pointe de terre au nord de la plage. Lorsque j’ai atteint le bord de l’eau, le chef de file s’était déjà positionné à l’écart du rivage. Il a donné un signal d’alarme : un gros coup de queue dans l’eau, pour dire aux autres de rentrer chez eux. Ils ont tous tourné les talons en même temps, le laissant seul, face à ce géant bipède sur le rivage.

À ce même moment, j’avais ramassé un gros bâton et me tenais debout, les pieds écartés, le bras droit tendu vers le haut de mon bâton, son extrémité inférieure près de mon pied droit. C’était, pour moi, la plus proche imitation de Neptune que je pouvais adopter avec seulement quelques secondes de préparation. Le castor — je suppose qu’il était le patriarche — a alors commencé son enquête. Il a nagé lentement dans un grand cercle, d’un rayon d’environ vingt mètres, s’approchant à dix mètres de ma position au point le plus proche et à cinquante mètres au point le plus éloigné. Pas une seule fois, mais deux fois, il a fait le tour, prenant de nombreuses minutes pour accomplir tout ce déplacement. Je n’ai pas bougé un seul muscle. Puis il s’est arrêté au point le plus éloigné et s’est tourné vers moi. « Krrriiickk », a-t-il dit. Puis encore « Krrriickk ». Le langage des castors est un peu au-delà de mes connaissances linguistiques. « Krrxrxriickk » ai-je répondu sans grande compétence. « Krrriickk » a-t-il répondu. « Krxrxrriickck » ai-je répondu sans grande amélioration grammaticale. Cette fois, il n’a pas répondu, alors j’ai répété mon krxrxrriick avec un peu plus de savoir-faire. Cela a dû être assez bon pour éveiller sa curiosité. Il s’est remis à nager, mais maintenant en ligne droite vers moi, et encore plus lentement qu’avant. Pourtant, je n’ai pas bougé un seul muscle. Il a continué à avancer, jusqu’à ce que son ventre heurte enfin les galets à moins de deux mètres de moi, après quoi il a contemplé pendant quelques minutes ce monstre qui ne bougeait jamais, mais qui semblait prêt à défendre son territoire. Puis il s’est lentement mis à nager à reculons, sans me quitter des yeux, À vingt mètres, il a fait demi-tour pour rentrer chez lui, mais moi je suis resté immobile, émerveillé par la nature.

Droits d’auteur © Derek Paul novembre 2022